Le 30 juillet 2005, sur l’atelier d’écriture en ligne d'un site internet, un nouveau thème d’écriture est proposé aux internautes : « Vous êtes une chaise, dans un bar, un bar enfumé et bondé le soir, où les vies s’emmêlent et se démêlent … Et vous entendez tout. Racontez-nous votre vie de chaise, en 5000 signes maximum ».
Au fil des semaines, seize textes seront créés, par quatre personnes ne se connaissant absolument pas, mais animées par la passion de l’écriture, l’envie de relever un défi et, certainement, la conscience de vivre une aventure humaine. Car, en effet, le monde virtuel peut paraître déshumanisé et artificiel. Notre expérience tend à prouver le contraire.
Aussi, je vous présente notre saga des chaises ou « Une histoire de chaises à huit mains », écrite alternativement par Cacahouète, Isabelle, Michèle et Florence.
* Chapitre 1 : « La Célestine »
* Chapitre 2 : « Fada, Fadade, Fadaises… »
* Chapitre 3 : « Le retour de Célestine »
* Chapitre 4 : « Les chaises de la vie »
* Chapitre 5 : « Amitiés sans frontières »
* Chapitre 6 : « Et un, et deux, et trois… »
* Chapitre 7 : « Les tribulations d’Artichounette »
* Chapitre 8 : « Seize pieds d’amitié »
* Chapitre 9 : « Le départ d’Artichounette »
* Chapitre 10 : « Le secret de Rosette »
* Chapitre 11 : « Le nouvel espoir »
* Chapitre 12 : « Le voyage »
* Chapitre 13 : « Renaissance »
* Chapitre 14 : « Quand le destin bascule »
* Chapitre 15 : « C’est parti pour la vie… »
* La saga des chaises – Epilogue
Chapitre 1 : « La Célestine » par Florence
« Té, Célestine, ce matin, je te mets là. Comme ça, tu tomberas pas et t’auras de quoi voir ».
Et, de fait, je vois la mer. Le soleil me caresse et ça me fait craquer ! Sous ses assauts, la mer révèle ses splendeurs et ce spectacle me rend nostalgique.
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Et oui, mazette, on a beau être une vulgaire chaise de bar, on n’en est pas moins culturé, euh pardon cultivé !
Bon, je fais les présentations : je m’appelle Célestine (parce que je tombe souvent les quatre barreaux en l’air), je vis et travaille dans un petit troquet marseillais, sur le vieux port en face
du « Ferry Boat » (vous savez comment ça se prononce !).
Quand je suis arrivée ici, je sortais de chez l‘ébéniste. Ah, j’étais jeune, toute en bois, polie, lustrée, cirée, avec un beau plateau de paille. Bref, une sacrée pépée !
Les clients du bar m’aimaient beaucoup et c’est à cause de cet attachement qu’on m’a appelée Célestine : les
gens du sud parlent haut et fort, se disputent souvent et, quand l’alcool s’acoquine avec la chaleur, les chaises volent !
J’ai tout vu, tout entendu, tout fait, dans ce bar. Des jours et des nuits …
« Et voilà, elle recommence ! »
« Ecoute, petite, tu comprends rien à la vie, aux humains et à notre mission. Oui, notre mission, mademoiselle Pomponnette, qui arrête pas de s’admirer ses lignes dizayeneux et ses couleurs
facheunes. Apprends, gallinette, que les chaises ont une mission de très haute importance : c’est de soutenir les humains, de porter leurs postérieurs et de les aider à se vivre plus haut … que
le plancher des bêtes.
Oui, j’en ai vu des humains, des gros, des maigres, des grands, des petits, des blancs, des noirs, des jaunes … j’ai tout entendu, des galéjades, des insultes, des déclarations d’amour, de haine,
de guerre et de paix (...).
Ah, je pourrais t’en dire et t’en dire. La condition humaine, je la connais.
Mais, celui que j’ai jamais oublié, c’est l’Emile.
Il était vieux, l’Emile. Il venait tous les soirs. Quand il entrait, il me cherchait des yeux et quand il m’avait trouvée, il s’asseyait. Pas sur moi, il me respectait trop, mais à côté de moi.
Il commandait son anisette, sortait son tabac, sa pipe, ses allumettes, attendait d’être servi.
Puis, doucement, lentement, de la paume de sa main, rugueuse, douce et chaude me caressait le dos. Et il parlait, il me parlait à moi, Célestine. Il disait que
j’étais belle, belle malgré et grâce à la patine des ans. Il me racontait sa vie de berger dans la montagne corse. Et puis, son départ pour Marseille, parce qu’un ami lui avait dit qu’ici c’était
la belle vie. Et le tourbillon, les femmes, l’argent, les bars, les beaux costumes et la part de l’ombre, pas celle qui te rafraîchit quand le soleil cogne, non, celle qui te fait mal à
l’honneur, mal à la loyauté, mal à ta dignité d’homme. La bande de Mémé Guérini et les autres voyous de la Camora. L’Emile, y me disait sa honte, quand il rentrait au pays et qu’il osait pas tout
raconter à la Mère et au Père.
J’en ai passé des nuits à l’écouter me parler, me raconter et à me sentir sa caresse sur mon dos.
Puis, un soir, il n’est plus venu. J’ai attendu, je l’ai langui, ce soir-là et tous les autres soirs suivants, jusqu’à ce que je comprenne qu’il ne viendrait plus.
« Vé, Célest’, qui entre ! »
« Adieu l’Emile, quel bon vent t’amène ? »
« Adieu, Jeannot, j’suis venu chercher la Célestine. J’arrive pas sans elle »
« La Célestine ? T’es fada, qu’est-ce tu vas faire avec, du feu de cheminée ? »
« Je la veux. J’arrive pas sans elle ».
Jeannot éclate d’un gros rire et tend le bras dans ma direction. L’Emile m’emporte, serrée contre lui.
« Célestine, ma toute belle, j’ai tant de choses à te dire ! ».
Et je me pense : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? !!! ».
A suivre ....