Chapitre 3 : « Le retour de Célestine » par Florence
L’Emile est mort, ce matin, sa main posée sur moi.
J’ai senti sa vie partir doucement et mon cœur avec.
Je me retrouve seule, avec mes souvenirs, mes regrets et la peur de ce que je vais devenir.
D’abord, qui saura que l’Emile a fait le grand saut, là, dans sa cabane de berger en plein maquis et quand ?
Et puis, après, quand la découverte sera faite, je vais rester là, à attendre, longtemps, que les vers me rongent ou une main, celle d’un humain ou celle du destin ou les deux, m’emportera-t-elle
vers une autre vie ?
Les jours et les nuits s’égrènent.
« Le Temps mange la Vie et du Sang que nous perdons croît et fortifie »
Tu vois, l’Emile, je me souviens des lectures que tu me faisais ! Le plus grand poète, que tu disais, alcoolique, opiomane, syphilitique … certes, mais le plus grand !
Et je me pense à ce Beaudel … enfin à ce poète.
Et je pense à ma Fadette, restée là-bas, à Marseille. Est-elle encore debout, ma sœur de comptoir ? Je le crois, si j’écoute parler mon cœur de chaise.
Le Ferry trace sa route sur la mer.
Je tangue, je glisse, je tombe les quatre barreaux en l’air ! La table de l’Emile se moque de moi et raconte la scène, tout haut, aux bibelots enfermés dans un carton.
Finalement, j’en ris aussi. A mon âge, me retrouver dans cette position ! Je ris, parce que j’ai envie de pleurer. C’est dur de vivre si longtemps et de se faire quitter par ceux qu’on aime. Et
dire qu’y en a qui cherchent la vie éternelle ! Pour quoi faire ? Une éternité de souffrances ?
« Arrête la Célestine, t’étais plus marrante, quand t’étais jeune ! ». C’est la pipe de mon Emile qui parle, là, dans le carton.
Elle a sûrement raison, je deviens triste et rabat-joie. Ah, si ma Fadette était là ! Elle me ferait rire. Elle est si gaie, la Fadette, si pétillante. Elle bouge tout le temps, c’est pour ça
qu’elle tombe … tout le temps.
On nous a mis là, dans ce cabanon. On attend, on sait pas quoi, mais on attend !
J’entends claquer les boules et crier les joueurs.
« Carreau ! »
« Oh misère, couillon, tu l’as fait avec la mienne ! »
« Bonne mère, c’est le soleil qui me mélange les orbites, que je vois plus clair !»
« Chante, rossignol, t’y vois assez clair pour faire le joli cœur et des risettes à la nine, là-bas qu’est assise sur la Fadette ! »
La Fadette ? Je sors de ma torpeur.
« J’ai bien entendu ? »
La table, les bibelots dans le carton répondent à l’unisson : « Oui, la Fadette, c’est ça ! »
« Paulo ? »
« Oooh ! Tu vois pas que je joue ! Déjà que le soleil me tape le citron et les orbites ! »
« Paulo, c’est quoi tout ce bardas que t’as mis dans le cabanon ? »
« Et qu’est-ce que ça peut te faire ? »
« Fan de chichoune, Paulo, t’as pas des origines corses pour rien ! On peut rien te dire, que, de suite, tu te sors les pistoles des yeux ! Je voulais juste de demander si, par hasard, t’avais
pas une chaise pour Honorine. Peuchère, cette chaleur lui fait les pieds tout gonflés »
« Alooors, tu joues ou tu discutailles ? »
« Allez, vas, y en a une de chaise, prends-la et oublies-moi ! »
Je me retrouvais à l’ombre des platanes. L’Honorine me traînait pour aller s’asseoir à côté de la nine, la
Fanny et faire la causette.
Et ma Fadette était là, belle comme le jour, son bois ciré jouait en reflets avec le soleil. Mon cœur de chaise
déborda de mille feux de joie, de mille lumières d’amour et de tendresse. Oubliées, les peines.
Je revis, parce que, seul, l’amour rend vivant.
A suivre ...