Chapitre 6 : « Et un, et deux, et trois… » par Michèle
Depuis quelque temps, Célestine et Fadette se sentent toutes « mollassonnes ». C’est sans doute l’effet de la forte chaleur du mois d’Août.
Bien sûr, Paulo les sort souvent sur la place Saint Pierre. À l’ombre des platanes, elles sont inséparables et sont devenues les fidèles complices des conversations des habitués. Mais il leur manque un peu de fantaisie, de dépaysement, de nouveauté.
Heureusement, aujourd’hui c’est Dimanche et elles participent au « mundial de pétanque assise ». Elles occupent des places de choix, en cette fin de compétition. Célestine sert de siège aux finalistes. Fadette a dû se contenter de la consolante. Mais de temps à autre, elles se regardent et communiquent par ce lien invisible qui les unit.
Elles en ont vu des boulistes, tous assis, ce jour là ! C’est curieux mais très original. Ça paraît facile, mais au fond pas tant que cela. Il y avait aussi de drôles de chaises à roulettes. Et les hommes et les femmes qui s’y trouvaient, semblaient heureux de participer et d’être ici « comme les autres ». Elles ont « parlé » un peu avec les fauteuils à roulettes et se sont senties bien inutiles à côté d’eux. Mais les sièges mobiles leur ont répondu que chacun a une mission à remplir, l’important étant d’accepter et de respecter la différence. Fadette et Célestine n’ont pas bien tout compris, mais elles seront davantage attentives à cela dorénavant. À la fin de la journée, elles se sentent bien fatiguées. Paulo vient les câliner un peu et leur dit :
- Allez, mes belles ! Je vous pose à l’ombre, dans le cabanon pour quelque temps. Ça vous évitera d’être malmenées par les autres en mon absence.
En son absence ? Célestine et Fadette sont consternées.
Paulo continue :
- Peuchère, ne vous faites pas de souci ! Je pars avec Fanny, faire un tour dans les calanques. Je reviens dans trois jours.
Paulo referme le cabanon. Célestine et Fadette sont si fatiguées qu’elles n’ont plus aucune force et s’endorment….
Au bout de quelque temps, Fadette se réveille.
Encore toute ensuquée, elle s’adresse à Célestine dans un langage qui leur est propre :
- Eh Belle ! Réveille toi. Ça fait combien de temps qu’on roupille ?
- Euh ! j’sais pas. J’ai comme l’impression qu’on nous a oubliées.
- Oh fan ! T’as peut-être raison. On va finir par péter de chaud dans ce cabanon.
- Quand est-ce qu’y revient Paulo ?
- Il a dit dans trois jours. Mais j’sais pas bien combien de temps ça fait.
A cet instant précis, l’accent chantant de Nénesse se fait entendre :
- Eh adieu Marius ! Ça fait longtemps qu’on t’a pas vu par chez nous ! Tu t’y plais toujours à Paris ?
- Ben justement, j’arrive de la capitale. Ils sont tous fadas, là-haut. J’en ai ras-la-casquette de leur accent pointu. Je reviens vivre ici. J’ai ramené quelques bricoles du cabaret où je travaillais comme homme à tout faire. Je vais bricoler, débarrasser les caves et faire le brocanteur. T’aurais pas un endroit où je pourrai poser tout mon barda pendant quelques jours ?
- Vé, mets ton chargement dans le cabanon au fond. Y’a deux ou trois « estrasses » qui traînent là-dedans. Pousse-les pour faire de la place, et mets tout en vrac. Après, tu viendras prendre un petit pastaga avec moi, d’accord ?
- D’accord !
Répondit en écho la voix de Marius.
Célestine et Fadette, elles, restent sans voix. Elles sont reléguées au rang d’ « estrasses qui traînent » maintenant ! Elles voudraient bien crier
- Au secours, Paulo ! Nénesse nous traite comme de vieux chiffons !
Mais Paulo est trop loin, sans doute à faire le joli coeur et à conter fleurette à sa belle Fanny.
La porte du cabanon s’ouvre, un petit homme au visage rougeaud s’approche. D’une camionnette blanche et bleue portant l’inscription « Transports Antonelli », il a extirpé une dizaine de chaises qu’il a traînées jusqu’ici. Il les pose pêle-mêle, au milieu de la pièce et sans porter la moindre attention à Fadette et Célestine, il marmonne :
- Voilà mes cocottes ! Adieu la vie de fadas de la capitale. Vous êtes au soleil, maintenant !
Il referme la porte et repart vers la buvette où Nénesse l’attend avec deux verres de pastis.
Dans le cabanon, c’est une pagaille sans nom qui règne à présent. Marius a tout bousculé. Et maintenant non seulement il fait chaud, mais on est serrés comme des anchois.
Dans la chaleur moite, Célestine qui n’osait plus rien dire, s’approche de Fadette et murmure :
- Eh tu pionces encore ? Tu remarques rien ? Là, au milieu, dans le mic-mac de chaises.
- Hein ? Mais qu’est ce que t’as aujourd’hui ? Non, j’ai chaud et Paulo me manque trop. Non, je remarque rien !
- Mais Fadette, regarde la chaise là-haut. Celle qui est en équilibre, retournée et toute de guingois. Regarde sous son pied. Y’a une petite croix…
- Quoi ?... C’est pas possible ! Une de nos sœurs ? Rosette ou Artichounette ?
- J’crois bien que c’est Rosette….
- Hep ! Rosette ! Rosette ! C’est toi ?
La petite chaise en équilibre tombe sous l’effet du choc qu’elle vient de recevoir en plein bois. Ses sœurs « pépettes »… Elles sont là, enfermées comme elle dans ce cabanon qui sent le renfermé. Mon Dieu comme elle est contente ! Elle commençait à se demander si la vie à Paris, ce n’était quand même pas mieux que cet endroit lugubre, qui sent mauvais et qui ne correspond pas à son souvenir du « pays des cigales » ni à l’image de la « retraite au soleil » qu’elle avait imaginée.
- Quelle bonne surprise ! Jamais, je n’aurai pensé vous retrouver ici, Fadette et Célestine. Mais dites-moi c’est pas terrible ici.
- T’inquiète pas, belle Rosette. Paulo va bientôt revenir et tu vas voir, ici on est très bien. On est TRAAANNNQQUILLEES !
Mettant à profit, la balade amoureuse de Paulo, Célestine, Fadette et Rosette se retrouvent dans la joie et revivent leurs souvenirs de jeunesse au pensionnat « Les Quatre Pieds » où elles faisaient les quatre cents coups, faisant voir de toutes les couleurs à la « Sœur Barreau »… Elles se racontent leurs vies croisées et si différentes depuis ces instants d’insouciance. Elles se sont retrouvées et c’est cela l’essentiel. Seule ombre à leur tableau. Leur soeur Artichounette leur manque beaucoup. Où peut-elle bien être ? Encore chez son gardien de cimetière ou en vacances ailleurs ? Elle l’attendent…
Quelques temps plus tard, Paulo revient. Il est souriant. Mais quand il ouvre le cabanon, il s’écrie :
- Oh boudiou ! Mais qu’est ce que c’est ce boxon ? Qui a mis un tel fatras là-dedans ?
- C’est rien, Paulo. C’est juste Marius qui a entreposé quelques bricoles.
Lui répond Nénesse.
Paulo s’approche de Fadette et Célestine, va pour les sortir et les dépoussiérer, quand il ressent certaines vibrations.
- Qu’est ce qui se passe Fadette ? Tu m’en veux encore pour Fanny ?
Il la caresse et après quelques instants, il comprend.
- Oh toi, tu as encore retrouvé une copine. C’est ça ? Mais elle est où encore celle-là ? Dans le désordre de Marius ?
Après avoir débarrassé quelques chaises du milieu, l’œil averti de Paulo reconnaît sur l’un d’elles la fine ciselure en forme de croix, sous le pied avant droit, que portent également Fadette et Célestine. Il retire Rosette de ce désordre et sort les trois chaises, à l’air libre.
- Allez les filles. Maintenant vous êtes trois ! Avec Fanny et le petit nous allons faire, je vais être responsable d’une grande famille !
Très rapidement Rosette se fond dans le paysage de la place Saint Pierre où elle se sent revivre auprès de ses deux sœurs. Le ventre rond de Fanny lui donne une belle allure, même si elle pèse un peu plus lourd chaque jour sur les pieds de Fadette, Célestine et Rosette qui ont à tour de rôle le privilège de la porter.
En attendant le bébé de Fanny et Paulo, elles coulent des jours heureux, espérant vivement qu’un jour leur petite soeur Artichounette vienne les rejoindre au pays des cigales….